La fille du passeur de l'Aber Benoît

Le Passage à Saint-Pabu, avec la maison du passeur, la maison des douaniers, la cale, et les bateaux des goémoniers
La maison du passeur qui a vu naître Marie Yvonne THOMAS et ses frères et soeurs, près de la maison blanche des douaniers

Plourin, le 12 août 1921 : Marie Yvonne THOMAS, veuve CALVARIN, s'éteint à 75 ans, victime de la grippe espagnole.

On ne résume pas l'existence d'une personne à ses dates de naissance et de décès : une vie, c'est riche, dense, jalonné de joies et de peines. Et celle de Marie Yvonne aura été bien dense dans ces domaines !

 

Elle voit le jour le 27 mai 1846 au Passage à Saint-Pabu ; ses parents sont Laurent, passager*, et Marie Gabrielle BOTHOREL, cultivatrice. Elle est le septième et avant dernier enfant du couple. Avant sa naissance, trois de ses aînés sont décédés en bas âge.

Ses parents se sont mariés à la chapelle de Larret en 1831 : Laurent, de Saint-Pabu, avait alors 24 ans et Marie Gabrielle, de Porspoder, avait 16 ans. Ils fonderont leur famille au Passage : c'est dans la petite maison basse près de celle des douaniers que les cinq enfants THOMAS grandissent, puis plus haut dans la montée, à Pen al Liorzou, avec un père ayant une activité mixte de passeur de l'Aber Benoit et cultivateur, et une mère cultivatrice.

Arrivée de Lannilis il y a deux générations, la famille THOMAS est une famille de marins : le père de Laurent a commencé à naviguer au long cours dès l'âge de 12 ans, pour revenir à Saint-Pabu comme passeur, comme son père avant lui.

Marie Yvonne n'a que 14 ans quand son père meurt.

Dans la famille, nous n'avons pas de photos d'elle, nous savons juste qu'elle avait pour surnom "Maonhic", parce qu'elle n'était paraît-il pas bien grande...

Le 10 janvier 1864 est jour de fête à Saint-Pabu : quatre mariages y sont célébrés ce jour-là entre deux familles : quatre frères et sœurs CALVARIN originaires de Kerascoul épousent quatre sœurs et frères THOMAS originaires du Passage. A 17 ans, Marie Yvonne épouse ainsi Olivier Marie CALVARIN, 26 ans, cultivateur à Streat Veur.

 

La fratrie THOMAS, dont Marie Yvonne (case verte), et leurs conjoints
Extrait de l'arbre généalogique représentant la fratrie THOMAS, dont Marie Yvonne (case verte), et leurs conjoints

Tandis que ses deux frères restent à la ferme de Pen al Liorzou, Marie Yvonne, sa sœur et leurs conjoints respectifs vivent sous le même toit à Streat Veur. C'est dans cette petite ferme que ses quatre enfants naîtront : Olivier en 1865, Marie Jeanne en 1870, Marie Françoise en 1872 et Laurent en 1874. Hélas, ses deux plus jeunes enfants décèdent à l'âge de onze mois et cinq ans. En 1875, Marie Yvonne THOMAS perd aussi sa mère Marie Gabrielle BOTHOREL.

Les enfants grandissent ; les quatre membres de la famille CALVARIN s'installent en 1882 à Kerascoul, dans une des dépendances de l'ancien Manoir. Marie Yvonne y perd son mari en 1883 : elle est veuve à seulement 37 ans, avec deux enfants de 18 et 13 ans.

Six ans plus tard, elle marie ses deux enfants avec la sœur et le frère CABON de Mezdrezoc : Olivier épouse Marie Laurence et la rejoint à la ferme de Mezdrezoc alors que Marie Jeanne épouse Jaoua, cantonnier, et continue de cultiver la ferme de Kerascoul avec sa mère. Tandis que chez Olivier, les naissances et décès de petits-enfants prématurés se succèdent, Marie Jeanne n'a pas d'enfant avec Jaoua. La première petite fille de Marie Yvonne née à terme sera Marie Joséphine CALVARIN, née en 1892 à Mezdrezoc.

L'année suivante, son gendre Jaoua CABON meurt brutalement à Kerascoul : la fille de Marie Yvonne est veuve à 23 ans. Un an plus tard, la jeune veuve se remarie avec François Marie LAOT, 38 ans, de Landegarou, lui aussi veuf sans enfant.

 

La descendance de Marie Yvonne THOMAS de Olivier CALVARIN : enfants, petits-enfants et leurs conjoints y sont présentés
La descendance de Marie Yvonne THOMAS de Olivier CALVARIN : enfants, petits-enfants et leurs conjoints y sont présentés

 

Le mois d'août 1895 donne trois petits-fils à Marie Yvonne : chez Olivier à Mezdrezoc, naissent d'autres jumeaux, grands prématurés : seul Yves CALVARIN survivra : beaucoup de Saint-Pabusiens se souviennent de sa gentillesse : resté petit suite à sa naissance prématurée, il sera le "petit tonton" de bien du monde, bien au delà de la sphère familiale. Quatorze jours plus tard, Robert LAOT naît à son tour à Kerascoul.

Les années passent, les naissances de petits-enfants se suivent : à Mezdrezoc, Marie Françoise CALVARIN voit le jour en 1899 alors qu'à Kerascoul, pas moins de cinq autres naissances se succèdent avec Marie Yvonne en 1897, Eugène en 1899, Joseph en 1901, Jean Louis en 1903 et Marie Louise en 1905.

Le petite ferme de Kerascoul étant devenue trop exiguë, le couple LAOT saisit l'opportunité d'acheter une ferme à Plourin, à Roudous an Aour. La famille y déménage en 1906 : Marie Yvonne les suit à Plourin. Deux autres enfants naîtront dans ces lieux : Yves en 1908 et un enfant mort né en 1913.

La veille de la Grande Guerre, Marie Yvonne THOMAS a 58 ans, deux enfants et dix petits-enfants, dont deux petits-fils de 19 ans, probables soldats si la guerre dure... Fin 1914, ils sont appelés : Yves est exempté car trop petit mais Robert rejoint le front : gazé puis grièvement blessé, il sera réformé en 1918. Son frère Eugène s'engage alors volontairement dans cette guerre, la veille de ses 19 ans. Entre temps, la bru de Marie Yvonne, Marie Laurence CABON décède en 1915 à Mezdrezoc.

Arrivent enfin l'Armistice fin 1918, puis le retour des soldats en 1919.

 

Marie Yvonne connaît de nouvelles joies : ses deux petites-filles Marie Joséphine et Marie Françoise CALVARIN épousent deux frères JAOUEN de Kerdonval en 1920 : Marie Joséphine et Jean JAOUEN sont cultivateurs à Mezdrezoc et Marie Françoise et Yves JAOUEN à Kerdonval. Deux arrières petites-filles naissent dans ces foyers au printemps 1921, alors qu'à Plourin, Robert LAOT épouse Marie Françoise L'HOSTIS de Milin Escop à Plourin, où le couple s'installe.

Ce même printemps 1921, Joseph, le troisième fils LAOT, part effectuer son service militaire. Au moment d'un changement de régiment durant l'été, il revient en permission chez ses parents au Roudous à Plourin. Il ignore qu'il est porteur sain de la grippe espagnole, à laquelle ses frères aînés ont échappé quand ils combattaient à la guerre.

Plusieurs membres de la famille, dont la grand-mère Marie Yvonne THOMAS, tombent malades rapidement. Le Docteur Amédée LE MEUR de Ploudalmézeau comprend la gravité de la situation et prend rapidement les mesures nécessaires pour éviter une propagation de l'épidémie. Il sépare d'abord les sains des malades, confine la ferme, avec interdiction absolue aux voisins de s'en approcher. Seul le médecin, en première ligne, au péril de sa vie, est présent auprès des malades.

Tous traitements étant inexistants, Yves Marie LAOT, 13 ans, meurt le 9 août ; Marie Yvonne THOMAS, 75 ans, meurt le 12 août ; Marie Louise LAOT, presque 16 ans meurt le 13 août ; le père François LAOT, 65 ans, meurt à son tour le 20 août. Quatre morts en 11 jours, tous inhumés sans cérémonie ni témoins, "comme Ebola en Afrique".

Le début d'épidémie s'arrêtera là. Grâce à la mesure de confinement : le docteur LE MEUR a probablement sauvé les voisins et relations de la famille.

L'église et le cimetière de Plourin, où reposent Marie Yvonne THOMAS et des membres de la famille de sa fille
L'église et le cimetière de Plourin, où reposent Marie Yvonne THOMAS et des membres de la famille de sa fille

 

Marie Yvonne THOMAS repose dans le cimetière de Plourin, dans la tombe familiale des descendants de sa fille. Elle était mon arrière arrière grand-mère, grand-mère paternelle de ma grand-mère paternelle (mon SOSA 21 pour les généalogistes).

Les survivants de la famille LAOT-CALVARIN ont eu une nombreuse descendance qui organise tous les 10 ans une cousinade à Plourin. Ils ont de nombreux "cousins" à Saint-Pabu, notamment des JAOUEN, ROUZIC, VAILLANT et presque tous les LAOT de la commune.

Armelle JAOUEN

 

* En consultant les actes de naissance de ses enfants, Laurent THOMAS est tour à tour passager, passeur, batelier.

 

Source des informations :

Etat civil de Saint-Pabu et de Plourin

Mémoire familiale : je remercie mes cousins éloignés Robert (+), Jeanne et Prigent LAOT de Trézien, qui m'ont aidée à résoudre l'énigme des quatre décès qui se succédaient dans le registre de Plourin, en reconstituant le contexte et le déroulement de la tragédie d'août 1921.

Crédits illustrations :

Le Passage et extraits d'arbre généalogique  : collection personnelle Armelle Jaouen

Plourin : Archives départementales du Finistère

 

Exposition sur les passeurs de l'Aber Benoît en 2014 (le télégramme)

Article Ouest France sur cette même exposition

Les passeurs de l'Aber Benoît

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Article Ouest France de mars 2020

Article France 3 Bretagne de mai 2020

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Commentaires: 1
  • #1

    Bernard PELLAN (mardi, 14 avril 2020 15:44)

    Bonjour,
    J'ai été très intéressé par votre article su "La fille du passeur de l'Aber benoit" ayant des attaches à Saint Pabu.
    En effet ma grand mère maternelle Marie Jeanne TANGUY est née à Saint Ibilio et pendant plusieurs années avec mes parents j'ai passé mes vacances à Saint Pabu chez Antoine LAGADEC ( époux de Maryvonne ARZEL)
    Pour compléter votre article j'ai dans mon ascendance Martin GUIZIOU (sosa 674). On relève dans une tutelle du 1er juillet 1682 (voir série 16B380 n°6590 Cour de Landerneau:
    Martin GUIZIOU père de Fiacrette GUIZIOU demeurant près du passage de l'Aber Béniguet à Ploudalmézeau
    Jean LE LAE mari de Fiacrette GUIZIOU
    Les enfants de ce couple naissent à la maison passagère de Saint Pabu à partir de 1693
    En 1682 Martin GUIZIOU était donc le " passager " de l'Aber Benoit.
    On relève par ailleurs dans le terrier de Bretagne Domaine de Lesneven l'extrait suivant:
    dépendant de la seigneurie du CHATEL à Lannilis une isle nommée Garo cernée de la mer et rivières adjacentes entre les paroisses de Lannilis, Landéda et Brouënnou tenue en ferme par Martin GUYZIOU , contenant 5 journeaux et demy.
    Cordialement
    BP